Paramètres de l’extinction de la chaux vive

Cet article ne traite que des chaux vives qu’il est effectivement possible de trouver  dans le commerce de détail pour un particulier en France (2018). L’éventail réel des chaux vives est beaucoup plus vaste mais n’est pas abordé.

Les chaux vives ne gonflent pas, lors de l’extinction par immersion ordinaire, toutes de la même façon. Aucune même et plus déroutant, au sein d’une même marque ou d’un même échantillon il est possible d’obtenir des résultats contrastés. Et la réponse à la question « le comment du pourquoi est-ce donc bleusipo que ceci ? » ne tombe pas sous le sens commun.

En ce qui concerne la chaux vive que l’on peut trouver facilement (disons « assez » facilement) le rapport volume d’eau/poids chaux vive à utiliser est très loin des valeurs indiquées dans la littérature ancienne. Alors qu’il était admis que ce dernier dépassait 3 et même 3,5 (voir à ce propos cette note), en réalité atteindre 2,6 c’est déjà très rare. Et le plus souvent observé c’est  entre 2,2 et 2,4. Avec des valeurs de 1,4 pour les cas les plus défavorables.

En moyenne :

  • Chaux technique (CL94) : 3,0 – 3,2
  • Chaux mousse (CL92) : 2,6
  • Chaux agricole perlée (CL90) : 2,2 – 2,4
  • Chaux sanitaire en poudre (CL90) : 1,3-1,5
  • Chaux dolomitique (DL90-30) : 1,3 (non étudiée ici)

Pour affiner quelques paramètres ou répondre à certaines questions quelques petites expériences sont illustrées ici.

– La température d’extinction n’a pas d’effet sur le volume de pâte obtenue.

Pour un même échantillon réparti en plusieurs fractions, l’extinction avec bouillonnements ou presque (presque) à froid donne le même volume. C’est intéressant car cela dispense de jouer aux apprentis Vulcain avec un chaudron du diable. Une extinction calme, sans débordements, sans projections est alors recommandée, même si je sais que l’on préfère parfois aller un peu plus vite en besogne, histoire d’en mettre un peu partout peut-être  ?

Notez que la vitesse de la réaction dépend de la température de l’eau, à 4°C elle semble démarrer avec retard et être lente par rapport à l’introduction dans une eau à 20°C, l’extinction elle-même étant exothermique l’augmentation de la température du bain accélère la réaction. L’origine de la chaux peut aussi jouer sur cette vitesse de réaction, mais celles dites « agricoles » ont en général le même comportement.

– Le volume d’eau n’a pas d’importance pourvu qu’il soit suffisant.

Que les échantillons soient éteints dans un volume d’eau de 3 ou 5 fois le poids de chaux-vive n’a pas d’influence sur le volume de pâte obtenue. Tout au plus sur la température et les risques de débordements. Il est donc préférable de faire l’extinction dans un excès d’eau quitte à l’évacuer par la suite. Le risque de « noyage » de la chaux évoqué dans d’anciens textes ne vaut que si l’utilisation de la pâte est à faire rapidement et que ceci ne permet pas à la pâte de décanter un peu.

– Le volume de la pâte subit une contraction pendant au moins 72 heures.

Dans le meilleur des cas ; extinction sur 24 heures, à 60°C maximum , le volume se contracte de 5 % à 10 % dans les jours qui suivent. C’est d’autant plus important en volume (cela peut aller jusqu’à 15% ) mais alors court dans le temps que la chaux gonfle le moins et inversement. Par la suite le niveau bouge peu. Pour les chaux qui gonflent le moins (< 1,4) , la sédimentation du mélange rend le fond du seau compact et parfois même difficile à sortir. Pour celles de meilleure qualité (> 2,2), que ce soit un mois ou quatre ans après extinction, l’ensemble reste assez homogène et plus fluide et glisse hors du seau aisément.
Ceci pourrait indiquer que les pâtes (de chaux pas les spaghetti et apparentés) de moins bonne qualité sont plus destinées à être utilisées rapidement. Endéans le mois reste une bonne indication.

– L’hydratation à l’air peut-être rapide.

Des échantillons de chaux vives confinés dans une enceinte fermée dont l’air est presque saturé d’eau (HR 90%) gagnent environ 3% à 5% de leur poids d’origine par jour,  ceci à 10°C. La réaction est plus rapide à 20°C (6% à 8%) et ceci représente respectivement 10% à 25 % de l’hydratation totale des échantillons. C’est variable selon que la chaux vive est étalée en fine couche ou se présente en bloc et en fonction de l’avancement de l’hydratation, la réaction est plus marquée au début. Vous ne perdez donc pas grand chose en laissant un sac ouvert une demi-journée en hiver. Bien entendu après un mois, ou une semaine en plein été, ce n’est plus pareil, de même si l’ensachage (même à peu près étanche) remonte à un an. Les fabricants n’étant pas tenus de faire l’indication d’une date de fabrication/ensachage, ce sera la surprise… Avec comme conseil pratique qu’il est préférable de commander sa chaux et de prévoir une extinction sur de nombreux sacs en même temps, ce qui n’est  pas toujours possible, plutôt que de s’approvisionner au fur et à mesure.
Il est admis [note 1] que la chaux en pâte obtenue avec un excès d’eau a des meilleures qualités que les poudres.

– La granulométrie de la chaux a une forte influence sur l’indice de gonflement.

C’est une demi surprise. Au sein d’un même échantillon une granulométrie de 30 mm. gonfle 1,5 fois plus qu’une granulométrie de 0,6 mm. Ce qui est vrai pour un échantillon (sac) ne l’est pas entre échantillons. Une poudre micronisée à 0,3 mm. max. peut gonfler autant que des morceaux de 30 mm.
Les photos  3, 4 et 5 présentent une série de test effectués sur une chaux en morceaux (CL94) présentant diverses fractions granulométriques séparables par tamisage. La valeur retenue est la moyenne entre les mailles successives. Ceci par échantillons de 150 gr de CaO/500 ml. d’eau.
Ces tests mis en mesure sont synthétisés dans le graphique 2, il semble mettre en évidence plusieurs choses ;
– les échantillons de gros morceaux (à poids égal) gonflent bien plus que les plus fines fractions et se contractent moins.
– il y a également un seuil (3-5 mm) à partir duquel les différences deviennent moins marquées, elles restent mesurables pourtant.
– il y a une valeur étonnante lors de la contraction des volumes après extinction pour les secondes et troisièmes fractions , 15 %. Supérieure à celle de la première (10 %) mais aussi à celles qui suivent (de 8 à 5%).

L’explication rationnelle de ce phénomène reste la suivante ; l’indice de pureté de la chaux vive normalisé sous le code NF EN 459-1 n’est pas celui du contenu exact et réel en chaux vive (CaO) du produit. Divers essais en reportent la preuve (voir infra). Une partie de l’échantillon est déjà sous forme de Ca(OH)2 par hydratation à l’air lors du processus de fabrication-ensachage-stockage-distribution. Sachant que lorsque les morceaux de chaux vive s’hydratent ils se désagrègent (voir photo 6) en poudre plus ou moins fine il est alors normal de constater dans un échantillon hétérogène (morceaux + poudre) un gonflement moindre des fractions fines car celles ci renferment la majeure partie de la chaux vive déjà hydratée (voire même carbonatée, voir infra)
Ceci fausse bien entendu aussi les calculs, les poudres étant déjà plus hydratées (et même carbonatées comme on avait dit) que les morceaux (dans un même échantillon – sac) leur masse moléculaire est aussi plus élevée donc pour un test réalisé sur des poids identiques on met moins de chaux vive.

Il se reproduit pour toutes les chaux essayées et est présenté dans le graphique 3, celui-ci n’a qu’une valeur indicative, les échantillons ne sont pas comparables entre-eux. Les diamètres séparés n’étant pas les mêmes d’un échantillon à l’autre.

La chaux sanitaire est majoritairement sous forme de poudre (et gonfle très mal), les chaux agricoles (CaO agri.) variables, présentées en diamètre de 3 à 8 mm, le refus à 5 mm. est faible, ce qui passe à 1 mm. variable et il est difficile de tamiser 20 kg pour en avoir le cœur net. La chaux mousse (5 Kg.) passe presque intégralement à la maille de 1 mm. La chaux technique (CL94) en morceaux passait à tous les diamètres, celle en poudre intégralement sous 0,6 mm. La barre rouge indique le rapport moyen (approximatif) constaté lors de nombreuses extinction par 5 kg. Pour les CL94 (trop chères pour être utilisées sur un chantier) cela n’a pas été réalisé.

Une conséquence pratique est que si vous désirez une pâte avec un indice de gonflement plus fort il vous reste la possibilité de tamiser votre chaux vive. Ceci présente quelques inconvénients, il faut pouvoir peser les fractions séparées car les volumes ne correspondent plus à une masse volumique donnée et les poussières de chaux vive sont très irritantes pour les voies respiratoires et les yeux. Une autre conséquence est que si vous désirez des extinctions « homogènes » il faut brasser votre chaux vive pour éviter le fractionnement dû aux secousses (la poudre est en général dans le fond du sac).

A titre de conclusion sur cet effet « morceaux » :
– On peut supposer que la poudre contient la majeure partie de impuretés de l’échantillon avec en plus la partie déjà hydratée et carbonatée.
– Ceci pourrait au moins expliquer les valeurs anciennes de 3,5 l/kg, en effet à l’époque la chaux vive sortie du four l’était sous forme de cailloux de bonnes dimensions et si possible éteinte rapidement.

– Le titre indiqué, CL94 ici, n’est pas celui réellement constaté et il est difficilement mesurable.

Diverses expérimentations d’hydratation à l’air libre, garantissant que la seule eau absorbée par l’échantillon est celle nécessaire à la combinaison de CaO et H20 en Ca(OH)2 montrent qu’entre différentes fractions granulométrique d’un même échantillon (sac) ces quantités d’eau ne sont pas identiques. Mais l’une de ces expérimentations montre aussi (graphique 4) que la phase d’hydratation est suivie par la phase carbonatation qui se produit également à l’air. Cette carbonatation ayant démarré dès le début de l’hydratation elle est indissociable de cette dernière par simple pesée.

L’expérimentation décrite par le graphique 4 est conduite sur deux échantillons de CL94, une micronisée notée F, une en morceaux notée G. L’échantillon G est tamisé et réparti entre Gf pour la poudre de diamètre inférieur à 1 mm et Gg pour les diamètres supérieurs à 1 mm (et inférieurs à 3 mm). Ce trois fractions sont à nouveau divisées en deux lots pour être placés à deux températures différentes 10° et 20°, notés F10, Gf10, Gg10 et F20, Gf20, Gg20.

L’analyse du graphique montre ou semble montrer que comme prévu l’hydratation est plus rapide à 20°C qu’à 10°C et différente pour tous les échantillons.
Mais au bout de 10 jours les échantillons placés à 10°C ont rattrapés les mêmes placés à 20°C et les dépassent. Et presque tous les échantillons dépassent aussi le maximum théorique du poids gagné lors de l’hydratation (ligne rouge horizontale, voir infra), il s’agit alors du phénomène de carbonatation seule réaction encore possible. Carbonatation qui se fait mieux alors à 10°C qu’a 20°C sans qu’il me soit possible d’expliquer cette différence. Le phénomène est tout à fait observable après le quatorzième jour.
A cette date les échantillons à 20°C ont été sortis de leur enceinte (en panne…) et placés avec ceux à 10°C. A partir de cette date la courbe d’augmentation de poids a alors retrouvé une pente comparable (et supérieure à 10° qu’a 20°) pour tous les échantillons.
A 20°C en moyenne l’hydratation et la carbonatation font gagner 7% en poids aux échantillons (F20, Gf20 et Gg20) , au bout de dix jours la seule carbonatation ne provoque plus qu’une augmentation inférieure à  0,4 %.
A 10°C l’augmentation est au début de 4% et va se stabiliser un peu au dessus de 0,6% pour tous les échantillons après une dizaine de jours.

Données : Les échantillons de départ font tous 50 gr. ceci mesuré avec une balance électronique de faible précision (+/- 0,1 gr) ce qui donne aux valeurs mesurées inférieures à 0,5 gr une qualité assez discutable. Toutefois les tendances sont continues et cohérentes.
La quantité théorique d’eau d’hydratation se calcule ainsi :
50 gr déduit de l’indice de pureté (94%) donne 50 x 0,94 = 47 gr.
Multiplié par 0,32 le rapport entre les masses moléculaires de CaO et Ca(OH)2 ceci donne environ 15 gr. représenté sur le graphique par la ligne horizontale rouge.

Des échantillons passés à l’étuve (100° environ) vérifient que seule l’eau liée sous forme hydroxide a été captée par les échantillons. Le test est réalisé sur six échantillons ayant absorbés toute l’eau (sous forme vapeur) possible. Trois d’entre-eux sont passés à l’étuve pendant quatre heures, le poids ne bouge pas. Les trois autres reçoivent 15 % d’eau excédentaire (mesure à la pipette) et sont étuvés, les résultats indiquent que les échantillons perdent cette eau rajoutée, le poids revient à sa valeur initiale. Le Ca(OH)2 n’a donc pas tendance (ou elle est faible) à s’hydrater à l’air (par contre il carbonate).
Ceci oblige à utiliser les sacs de chaux aérienne en poudre (du Ca(OH)2… ) endéans un temps raisonnable après l’achat,  6 mois – 1 an sont souvent cités. Moins serait préférable.

– Faire de la chaux en pâte à l’aide de chaux en poudre ?

C’est possible mais ne présente pas d’intérêt (note 2) sauf si vous deviez conserver un sac ouvert dont il n’est pas possible de faire usage avant longtemps. Et étrangement le volume obtenu est faible mais parfois supérieur à celui d’une chaux-vive de mauvaise qualité. Pour être précis, des échantillons de 198 gr. (équivalents à 150 gr. de chaux vive) mis en suspension dans l’eau atteignent des volumes compris entre 300 et 320 ml. soit un facteur  de +/- 2 …
Le seul effet visible et que cette pâte de chaux s’agglutine beaucoup plus sur les outils que celle obtenue par extinction ordinaire. Au vu des prix relevés ceci mettrait le litre de pâte à environ 0,42 € mais sans garantie sur la qualité obtenue. Cela dit la chaux aérienne en poudre – d’après l’usage commun – gagne à être gâchée un bon jour avant son utilisation.

Notes.

  1. Cette assertion n’est pas neuve, il était déjà admis au XVIIe qu’une chaux vive ayant subit une hydratation à l’air, exemple par temps chaud et orageux donnait une chaux éteinte de moins bonne qualité. Des travaux plus récents tendent à le confirmer. Ceci fera l’objet d’un article ultérieur.
  2. D’après les travaux de J. Vàlek, un mortier de chaux en pâte (« mûrie » deux ans) celle-ci obtenue à partir d’une poudre (de chaux éteinte) présente une résistance en compression inférieure à un mortier de chaux en poudre bien qu’elle affiche une meilleure résistance en flexion (notez que ce ne sont pas au départ les mêmes chaux en poudre).
    resistancescompression
    Résistances en compression et flexion de mortiers de chaux d’après J. Valek.

    [Valek, Jan & Matas, Tomáš. (2013). Experimental Study of Hot Mixed Mortars in Comparison with Lime Putty and Hydrate Mortars. RILEM Bookseries. 7. 269-281. 10.1007/978-94-007-4635-0_21.]