Mortiers Romains ?

Il y a, parait-il, dans la vie d’un-e architecte toujours un moment (souvent au début) où ce dernier cède au « découpage en extrême et moyenne raison » aka le « Nombre d’Or ». Il en va de même pour l’impétrant maçon amateur de mortiers anciens, il s’essaye un jour aux « mortiers Romains ». La littérature et la recherche étant devenues prolixes sur le sujet celui-ci ne revêt plus le caractère mystérieux qu’on a pu lui donner.

Il a suffit de sélectionner quatre granulats aux propriétés « pouzzolaniques » susceptibles de développer, mélangés à de la chaux aérienne en pâte, une réaction de prise hydraulique. Conférant au mortier et la possibilité de faire sa prise en présence d’eau en excès et de lui assurer une bien meilleure dureté. La littérature indique en outre que toutes les pouzzolanes ou les argiles cuites pilées ne développent pas ces caractéristiques, il faut donc essayer.

A savoir :

  • Une pouzzolane vrac concassée, irrégulière, rouge foncé à gris foncé, séparée en deux fractions granulométrique une comprise entre 2 et 1 mm (grains visibles) l’autre inférieure à 300 microns (poussière).
  • Une pouzzolane décorative, plus régulière, rouge, passée au broyeur à branches et tamisée comme la première.
  • Une poudre de terre cuite très fine, issue de la découpe à la meule (à eau) de carrelages.
  • Une brique pilée fine obtenue chez un briquetier de la région Toulousaine.

Ces échantillons mélangés à de la chaux en pâte dans la proportion en volume de 1 pour la chaux et 2 de granulats. La pouzzolane vrac a aussi (dans ses deux granulométries) été mêlée à de la chaux vive pour réaliser ce qu’on appelle un mélange à chaud (donc éteint après le mélange CaO/granulats, voir la page sur l’extinction de la chaux vive). L’ensemble de ces huit échantillons (4 pouzzolanes vrac, 2 pouzzolanes déco, 2 terres cuites) gardés sous quelques millimètres d’eau dans un contenant étanche. Et testés d’heure en heure pour observer la prise hydraulique, puis de jour en jour, puis de semaine en semaine… Au bout de six semaines l’expérience est arrêtée, les mortiers ont tous la consistance d’un beurre mou. Ceci rejoint la théorie ; la prise hydraulique ne marche pas avec toutes les argiles….

De l’ensemble des essais j’en ai retiré trois pour les étaler en couche de 8 mm. sur des cadres test (voir réalisation d’échantillons d’enduits), une terre cuite et les deux granulométries de pouzzolane vrac réalisées à froid. Le résultat est intéressant (?).
Le mortier de terre cuite est plastique et d’application facile (inutile de s’étendre sur l’intérêt connu de laisser reposer ses mortiers, là c’est six semaines) celui de pouzzolane un peu plus « rugueux » (le passage de la lisseuse est moins facile).

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photo 1 : enduits de terre cuite et pouzzolane (les couleurs réelles sont plus foncées).

L’application du mortier de pouzzolane de plus gros diamètre (> 1mm.) est encore moins facile, il n’y a pas les fractions granulométriques inférieures c’est assez normal.
Les échantillons ont fait leur prise dans des conditions particulières, à l’intérieur (protégés du vent et du soleil de janvier…), pour une HR > à 85% et une température ne dépassant pas 12°C. Dans ces conditions spéciales, les enduits perlent (de l’eau) et ne prennent que très lentement. Il a bien fallu attendre presque dix jours pour que l’ongle ne les marquent plus. Au bout d’un mois les résultats sont contrastés.
Le mortier à la terre cuite fine s’est fendillé, légèrement éclairci et reste rayable à l’ongle en forçant un peu. C’est cohérent avec la théorie, trop de « fines » (sans propriétés hydrauliques) n’améliorent pas la qualité des mortiers.
Par contre les enduits à la pouzzolane sont devenus assez durs pour qu’ils ne se rayent plus à l’ongle (même en insistant) mais résistent aussi au rayage à la clef (de contact) sans insister. C’est aussi dur qu’un enduit allégé moderne pour façade.
Sauf, que la couleur s’est fortement éclaircie et dessine même sur le mortier de pouzzolane fine des efflorescences peu esthétiques en plus d’un faïencage très visible (pas sur la photo, elles sont cachées par le cadre de devant) apparus après plusieurs semaines.

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photo 2 : Evolution à un mois des enduits de pouzzolane.

Ce ne sont pas des propriétés magiques. La pouzzolane, granulat poreux, renforce à ce titre la dureté du mortier. Les efflorescences, équivalentes à des remontées de laitance, étant dues aux conditions de prise. Celles-ci provoquant une exsudation de gouttes d’eau visibles à l’œil, la chaux en solution est venu précipiter sous forme de carbonates en surface de l’enduit.

Il n’en reste pas moins vrai que la dureté de cet enduit est assez notable. Comme ce type de pouzzolane n’existe pas dans le commerce, c’est de la poussière de granulats vracs de 6- 15 mm, il serait préférable de s’orienter vers la brique pilée de diamètre équivalent (0-3 mm.). Rejoignant ainsi une pratique souvent observée dans les mortiers anciens ; l’adjonction de brique pilée parfois de gros diamètre (> à 1 mm.)
Pour être complet (sur le peu qui est développé) cet adjuvant (la terre cuite) n’améliore pas l’adhérence du mortier aux pierres, mes observations portent sur des morceaux d’enduits anciens décollés à la main d’un mur, à décharge ce mur n’était pas protégé de l’humidité.

Notez qu’il est possible maintenant (2018) de trouver facilement une argile aux propriétés pouzzolanique, le métakaolin. Vendue sous le nom d’Argical (1000 et 1200) par la société Ceradel en conditionnement de 25 et 15 kilos. Plusieurs points de vente en France et par correspondance aussi.
L’avantage réel d’une telle technique est de nos jours parfois obscur, mais il existe. C’est donc à vous de vous faire un avis (manière de dire que moi je n’en ai plus ;-)

[place réservée à la très substantielle bibliographie consultée à ce propos ;-)]