Arcs et voûte en pierres

Ceci ne constitue bien entendu pas un traité d’équilibre des voûtes comme l’un de ceux rédigé par J. Dupuit mais après avoir réalisé une petite dizaine (seulement) d’arcs en pierres quelques tendances pratiques se dégagent. Cela va de l’arc de cinquante centimètres au-dessus d’une fontaine à la petite voûte en arc brisé de quelques tonnes en passant par un encorbellement, des contreforts décoratif ou technique, des arcs de porte, un raccord de fenêtre, un arc double destiné à supporter un plancher ou une niche à (petit) dragon (voir photos 1 à 8 ci-contre)

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fig 1 : Nomenclature claveaux

La nomenclature habituelle (chaque spécialité a ses spécialités) est juste rappelée pour faire le lien entre le jargon et la description. En pratique il s’agit d’arcs en pierres brutes, parfois retouchées jamais vraiment taillées et chaque pierre (voussoir pour les voûtes)  peut servir tout aussi bien de clef, de contre-clef, de claveau (dérivé du rad. latin clav- de clef), que de sommier, contre-sommier, taie d’oreiller etc.

L’architecture vernaculaire (populaire ou paysanne) du sud-est de l’Aveyron (et régions proches) a fait un grand usage des voûtes. Certaines maisons ou bergeries ne sont parfois construites qu’avec des voûtes, un rez-de-chaussée couvert par une voûte romane surbaissée, ménageant parfois des plats, un ou deux étage couverts par une voûte en arc brisé, les ouvertures (portes, fenêtres) étant aussi des voûtes en pénétration dans la maçonnerie, d’autres cas (bergeries) ne comprennent que des arcs de voûte supportant la toiture.
Même si cela ne saute pas aux yeux, une porte de deux mètres de large était sans utilité dans un village accessible à l’époque uniquement à pieds ou dos de mulet. Seule exception à cette règle, les rares demeures un peu bourgeoises. Mais juste pour le prestige et alors en pierre de taille. De même les contreforts en arc sont rarissimes et les encorbellements absents. L’adaptation a consisté à se servir des formes et rapports observés pour construire des parties ou des éléments architecturaux  si possible en accord avec l’endroit.

Seuls sont traités les arcs dans cet article, la voûte qui est à une autre échelle (poids) fera l’objet d’un article plus développé.

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photo 18 : Carroyage

La première étape dans l’établissement d’un arc est son dessin. Le coup du « t’inquiètes pas j’ai l’œil » marche peut-être mais j’ai un doute, un gros.
L’ancienne méthode actualisée du dessin au carreau, le carroyage, est toujours possible. Sur une plaque en plexiglas, quadrillée sur l’envers, verticale et face à la façade. La largeur d’un carré doit correspondre avec une dimension fixée sur la maçonnerie (par exemple une règle de 100 cm, correspondant à deux carrés). On reporte avec un feutre effaçable les repères de maçonnerie et on trace à l’œil un dessin « équilibré » pour éviter de dire harmonieux (si vous n’avez vraiment aucun sens de l’esthétisme, il y en a, c’est mal parti, faites vous aider). Il faut rester à distance fixe du plan de travail pour ne pas modifier l’échelle. Une fois le projet établi on le reporte sur le quadrillage d’une feuille A4. C’est assez approximatif (pas moins que la méthode suivante) mais cela fonctionne bien.

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fig 2. Projets d’arc-contrefort en façade. In fine le choix s’est porté sur une combinaison des deux, avec le pilier et le décrochage (photo 1).

Autre méthode plus expéditive, fixez sur la façade des repères de longueur donnée (exemple ; règles de 100 cm. à l’aide de chevilles de maçon) verticaux et horizontaux et prenez une photo en vous écartant suffisamment pour réduire les phénomènes de distorsion. A l’aide d’un logiciel de dessin, coller la photo en filigrane (opacité 50% ou moins) et mettez la à l’échelle sur un quadrillage fixé. Imprimez le tout, dessinez vos arcs, et choisissez le plus équilibrée. Cette méthode a pour avantage de permettre de se reprendre à de nombreuses reprises et de comparer les projets entre eux. Le quadrillage correspondant aux repères permettra de reporter le projet en vraie grandeur.

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fig 3 : Gabarit à l’ancienne (XVIIIe)

La première étape du « vraie grandeur » est de confectionner son gabarit (cintre).
A force d’usage et surtout de récupération il m’est apparu que les plaques en aggloméré de 28 mm (d’épaisseur) rendait les meilleurs services, assez faciles à découper et résistant aux charges de l’ordre de la tonne pour des hauteurs faibles (< 1m.) en comptant un écart de 50-60 cm. entre les plaques. Il suffit de reporter une partie du quadrillage sur une plaque, et de tracer l’arc en passant par les points équivalents aux deux quadrillages (l’autre étant le projet). A la question, pourquoi ne pas tracer avec une cordelette  l’arc en repérant son centre ? La réponse est ; ce centre se trouve hors de la plaque, l’arc étant sur-baissé et la plaque la plus petite possible.
Il est utile de tracer sur la plaque les rayons du cercle (voir photo n°19)  qui dessine l’arc. En effet les pierres doivent être dans l’axe de ces rayons et comme elles ne sont pas taillées elles n’auront pas tendance à être naturellement perpendiculaires à l’arc.
Plus délicate est la réalisation des gabarits d’une voûte et de l’arc d’une ouverture en pénétration dans cette voûte (abordé dans un article prévu, pour juin 2056 ?).

La découpe se réalise à la scie sauteuse ou tout autre engin à dents disponible.
Pour les arcs de faible amplitude (max. deux mètres et un peu plus d’une tonne) le couchis (les lames de support entre les plaques) se fait avec du lambris de 10 mm. (déclassé) qui a aussi pour avantage de s’emboîter, une fois la première lame clouée les suivantes viennent se fixer facilement. Pour la voûte elles étaient plus épaisses (22 mm.).

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Photo 19 : Gabarit en place ( l’arc est déjà en cours de montage).

Il est plus pratique et moins coûteux de réaliser et de découper des plaques ne faisant que la moitié de l’arc. Plus pratique car plus légères à manipuler et surtout à démonter et moins coûteux car vous rentrerez plus facilement vos formes dans une seule plaque si elles sont petites.
La mise en place est simple, deux ou trois étais (pieds droits) vissés au sol sur un bastaing (grosse planche) viennent porter un autre bastaing, finement réglé à niveau. A 50-60 cm. on répète le même dispositif. On monte les plaques sur les bastaings, on règle la verticale et on vient fixer perpendiculairement les lames du couchis entre les deux. Une aide est bienvenue mais quelques serre-joints permettent de faire le travail seul.

Les pierres [note 1] se préparent! (sinon vous allez y passer un temps fou lors du montage, c’est du vécu…).
Il faut sélectionner des pierres plutôt plates, au moins deux à trois fois plus hautes que larges (ceci vu face à une pierre verticale). Les rapports de hauteur entre pierre n’ont pas tant d’importance mais évitez quand même qu’il soit supérieur à environ 1,5 [note 2]
La longueur est tout aussi limitante, additionnées elles doivent couvrir la largeur de l’arc (à peu près) et ne jamais la dépasser. Alors il faut choisir ses pierres et commence un jeu pénible (l’équivalent du « Pêche » aux cartes) qui vise à apparier par deux ou trois les pierres pour obtenir la largeur désirée. Pour 20 cm. c’est facile, toutes les pierres font au moins cette taille il suffit de couper, pour plus de 80 cm. aussi on trouvera toujours trois ou quatre pierres quitte à boucher un petit trou ou couper un petit coin. Entre les deux c’est plus long.
Il faut aussi parfois aplanir une ou des bosses sur les faces latérales, celles-ci risquent de poinçonner la pierre voisine lorsque l’arc sera en charge. A l’aide d’une meuleuse d’angle et un peu (juste un peu) à la manière des tailleurs de pierres réalisez des saignées (plumées) parallèles et faites sauter au têtu de maçon [note 3] les zones délimitées (photo 13 ci-contre). Alignées à même le sol, côte à côte, sur une longueur sensiblement égale à celle de l’arc elles donneront le signal du départ.
Une pierre remarquable à trouver, la clef. Elle n’est pas plus, ni moins, importante qu’une autre mais pour l’esthétique de l’arc il est préférable qu’elle soit si possible un peu plus grande et plus régulière.
Autre possibilité, vous disposez de pierre taillées et vous les retouchez pour obtenir un arc à peu près homogène (voir photo 3 ci-contre) , dans le cas présenté les retouches ont consistés à refaire un chanfrein à 45° et rééquilibrer les dimensions (pas du grand art, hélas).

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fig 4. Pierres de départ

Autres pierres à trouver ou retoucher dans le cas des arcs surbaissés, l’équivalent des sommiers (les premières après le niveau de naissance), l’angle entre le pilier et le départ de voûte est important il faut soit trouver une pierre adaptée soit faire démarrer son arc au delà du pilier (non utilisé ici, j’ai préféré trouver des pierres adaptées).

Avant de commencer il est aussi utile de préparer une série de pierres fines et d’éclats de toutes dimensions pour boucher les trous entre les pierres de l’arc lors de la construction.

 

Une fois toutes les pierres prêtes (photo 14 ci-contre) on passe au montage qui se fait au mortier comprenant nécessairement au moins 50% de chaux aérienne, 100% c’est possible aussi. A ceci au moins deux raisons, il faut tartiner ses pierres lors du montage et le mortier doit alors être collant, seule la chaux le permet et ensuite après le démontage il faut souvent piquer le mortier qui déborde sur les pierres (photo 15 & 17 ci-contre). Avec du ciment ou de la NHL5 ceci peut s’avérer délicat (rare) voire pénible (le reste du temps). Lors du montage essayez d’abord l’assemblage à sec de deux pierres contiguës et au cas où un écart de plus de deux-trois centimètres est observé sortez un éclat de votre stock préparé pour remplir l’espace, tartinez votre mortier sur la pierre d’appui et venez coller la pierre suivante. A l’aide d’une massette tapotez et faites vibrer la pierre pour faire (si possible) fluer le mortier, raclez l’excédant et passez à la suivante. Limitez la quantité de mortier [note 4], celui-ci dans l’idéal doit juste réaliser un joint fin répartissant les appuis et évitant les contacts directs entre pierres.
L’arc se monte de façon symétrique en partant des deux naissances mais la clef de voûte ne se monte pas en dernier, placez-là avant les contre-clefs (voire quelques autres claveaux plus loin) et comblez les espaces entre elle et les arcs naissants. Il y a très peu de chance (aucune) pour qu’à la fin elle tombe pile poil.

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photo 20 : La « clef » ne se place pas en dernier.

Le décintrage (enlèvement du gabarit) peut se réaliser dans la foulée avec quelques précautions. Soit votre arc a été réalisé en quelques heures ou fait intégralement à la chaux aérienne dans ce cas décintrez dès la dernière pierre posée. Soit votre mortier contient une proportion notable de liant hydraulique et le montage a pris plusieurs jours alors il est conseillé de ne décintrer qu’après prise complète du liant, soit une semaine à un mois, selon votre degré de certitude [note 5]. Entre les deux et applicable aux deux cas, la simple mise en tension de l’arc par décintrage partiel. Laissez descendre les étais de quelques millimètres. L’enlèvement se fera plus tard.

Bien qu’aucune ne me soit tombée sur la tête, je recommande tout de même le port du casque.

Notes.

  1. La résistance à la compression des pierres n’est pas évoquée ici, si dans l’ensemble celles-ci dépassent souvent les 50 Mpa (le béton de ciment courant tourne autour des 25 Mpa) il faut prêter attention à ne pas choisir des pierres manifestement fragiles, sonnant creux ou feuilleté au coup de marteau ou placée en « délit » (perpendiculaire au « lit », le lit étant le sens naturel du litage des roches sédimentaires, certaines roches calcaires n’ont pas de litage comme les travertins par exemple). Ces éléments dépendent de la nature des roches disponibles et échappent à une règle unique.
  2. Au cas ou ce rapport excède 1,8 – 2 alternez petites et grandes pour obtenir un effet plus agréable.
  3.  Le « têtu de maçon » (photo 16 ci-contre) est un marteau de tailleur de pierre à l’époque très lourd qui maintenant se décline en versions légères de moins d’un kilo. Une extrémité est pointue et permet de pointer ou faire sauter un éclat, l’autre présente deux arêtes saillantes permettant d’abattre un angle ou de faire sauter un morceau plus important. Son maniement est parfois délicat au début mais son long manche permet de le tenir à deux mains. Il est devenu pour moi indispensable.
  4. Pour donner une idée, un arc d’un peu plus d’un demi mètre cube (600 litres) a nécessité 120 litres de mortier, soit 20% du volume total. Dans un mur courant cette proportion monte au moins à 30% voire bien plus, le « blocage » (grossier béton de chaux remplissant l’espace entre deux parements) peut représenter 50% du volume total de la maçonnerie.
  5. En cas d’utilisation excessive de liants hydrauliques forts vous allez payer deux fois la facture, le décintrage complet devra attendre et le piquage sera d’autant plus difficile.