Filtrer la chaux en pâte

La pâte que vous réalisez vous même et parfois celles que l’on achète contiennent des morceaux. Des petits morceaux de calcaire non cuit dans le meilleur des cas (chaux vive de bonne qualité), des cailloux dans le pire (chaux vive pour la désinfection).
Ces petits morceaux ne gênent en rien le travail avec des mortiers de hourdage (montage) ou des enduits épais, talochés, balayés, épongés etc.
De la même manière pour les peintures ce n’est pas un problème, vous filtrez votre chaux, après dilution et avant fabrication de la peinture, sur un voilage de récupération (c’est plus fin qu’un tamis n°18) ou un voile de tamis pour apiculteur (140 μm de maille) ou un de ces rares (et chers) tamis n°60 à 120 (utilisés pour les farines ou les engobes de céramistes/potiers).

Par contre pour les enduits fins et surtout colorés, les stucs et toute finition lissée soigneusement ces morceaux vont se voir et gêner la réalisation. Il faut filtrer.
Oui mais c’est n’est pas si simple.
Une piste à éliminer consisterait à tamiser sa chaux vive avant extinction ou se procurer une chaux micronisée à quelques microns. Le premier cas est inutile les meilleures chaux vives sont en granules et la poudre résiduelle gonfle moins, le second semble presque impossible. Je n’ai jamais trouvé de chaux micronisée dans le commerce.


tamis.La technique la plus classique consiste à presser la pâte sur un tamis pour la débarrasser de ses morceaux. Sauf qu’il vous faut un tamis rigide et pratiquer l’opération juste après l’extinction pour bien faire. Au cas où il ne faudrait qu’un ou deux litres de pâte cela reste possible mais fastidieux. C’est encore plus fastidieux si votre chaux à déjà quelques mois de maturation. En effet la maturation modifie entre autre la viscosité de la pâte, qui augmente. Un produit pâteux ne se filtre/tamise qu’avec difficulté et jamais par simple gravité (il faut presser, centrifuger, vibrer etc.). Cette pâte à la rhéologie complexe maintient très bien en suspension les petits morceaux qu’elle contient. Il ne faut pas espérer que naturellement, avec le temps, un tri s’opère. Il se fait oui, au fond des seaux se retrouvent les plus gros morceaux mais il en reste dans tout le mélange. Toujours.

Il reste pourtant la possibilité de la diluer (30%) puis de la filtrer. mais alors respecter un temps de repos long (plusieurs jours) pour laisser la pâte décanter et éliminer le surnageant. Et c’est bien dommage pour une chaux maturée pendant de nombreux mois, non ? D’autant qu’il n’est pas dit que diluée, filtrée, puis laissée à décanter votre pâte aura les mêmes qualités qu’avant (l’inverse n’est pas dit non plus, notez).
Alors comment faire ? Au moins deux méthodes, une plutôt médiocre et une un peu meilleure à parfois très bonne.

La vibration :

On peut vibrer un seau de chaux vive juste éteinte, le lendemain (voir notes) par exemple.
Avec pour l’occasion une ponceuse vibrante à plateau (vous pouvez trouver d’autres techniques, comme une table vibrante etc.). C’est assez long et surtout ça ne fonctionne pas très bien. Le principe consiste à remettre en mouvement les morceaux et forcer leur descente dans le seau. On récupère en surface une chaux plus fine. Oui mais très peu. Avec une table vibrante grand format, les résultats sont meilleurs. Mais qui dispose ou se bricole (à part moi) ce genre d’outil ?

La centrifugation :

Ou pseudo-centrifugation car il ne s’agit pas tout à fait de cela.
Le principe est plus simple. Lors de l’extinction on prévoit plus d’eau que prévue. Un récipient plus grand , une simple grande poubelle peut suffire. Et un fouet électrique ou manuel.

  • Plus d’eau que prévue : Sur une base de volume de pâte obtenue avec 5 kg de chaux vive (voir l’extinction) gonflant d’environ 2,5 fois on prévoit environ 12 litres d’eau. Ici on passe à 15 litres (pour 5 kg) au moins voire 18 au mieux.
  • Un récipient plus grand : D’au moins 80 litres, plus haut que large ne dépassant pas un mètre de haut toutefois, sinon le travail de mélange devient compliqué. Ici est représenté un maturateur d’apiculteur de 80 litres (40€) muni d’une vanne (pas très étanche) à sa base. Plus grand et haut est le récipient plus vous éteignez de chaux et la partie plus fine n’en sera que plus importante.
  • Un fouet électrique : Là il s’agit d’un mélangeur monté sur un gros perforateur et ce à l’aide d’un embout fabriqué maison, une bricolade quoi (voir infra).

On réalise une extinction classique, là c’est 20 kg de CaO pour 70 litres d’eau. Comme il y a « trop » d’eau l’extinction est plus rapide. En trois, quatre fois étalées sur deux heures les 20 kg sont éteints. Il faut laisser refroidir (là c’est en hiver) deux à quatre heures supplémentaires. Pour travailler sur un mélange tiédi. (pour rappel, bien faite votre extinction ne dépasse pas 80°c, mais à 80°c on se brûle facilement).
Alors on attend. Et à l’issue de cette attente à l’aide du fouet on mélange soigneusement la pâte (qui a déjà décanté un peu d’ailleurs). Et du bas vers le haut la machine à vitesse maximale on crée un « vortex ». Un tourbillon qui doit tenir quelques dizaines de secondes seul.

Filtrer la chaux : Fût plus haut que large
Fût d’extinction et son malaxeur

Sans fouet électrique c’est tout à fait possible aussi. Avec une rame… ou quelque chose qui ressemble à une rame. Comme une batte plate ou une bêche longue et étroite. Et un peu de muscles…
C’est même conseillé si votre perforateur  n’est pas puissant (minimum 1000 Watts ).
Votre vortex-tourbillon formé vous retirez l’outil et ne touchez plus à rien. Le mélange va sédimenter et un tri par diamètre se faire. Les plus gros morceaux allant au fond.
La pâte peut/doit reposer au moins trois jours. Voire beaucoup plus si nécessaire (et si c’est possible, là non le récipient est dehors, il ne peut pas y rester car il ne doit pas geler et on est en hiver or il pèse presque 90 kg, pensez-y) pendant un certain temps  (oui mais lequel ?) par simple gravité le mélange continue à sédimenter.

Dans le cas exposé, vient après la phase de repos le soutirage du surnageant (eau). Il semble plus facile de le faire couler par le bas que le récupérer par « écopage » par le  haut. Sauf que ce n’est pas toujours le cas.

filtreMon système est éprouvé certes mais après maintes retouches. Il y a en réalité dans le fond du récipient une plaque à trous en bois situé juste au-dessus de la vanne et dessous des nappes de filtres à hotte. La difficulté de réalisation réside dans la fabrication de cette plaque, au bon diamètre pour qu’elle se coince juste au dessus de la vanne.
On entrouvre la vanne et l’eau va s’écouler doucement (très doucement). Lorsque la surface de la pâte de chaux est découverte on prélève à la truelle (ou un récipient) 8 à 15 litres de pâte débarrassée des « morceaux », propre à réaliser les enduits fins. Ce sera fonction de la quantité et de la qualité de votre chaux vive.
Les grands fûts bleus de 120 litres « alimentaires », refermables par un couvercle et un cerclage ont juste pour tout petit défaut d’avoir une ouverture un peu plus étroite que  le diamètre du fût rendant le puisage un peu plus compliqué. Sinon le rapport hauteur/contenance est idéal. On peut y éteindre facilement 30 kg de CaO. L’absence de vanne n’est pas un réel problème. Il suffit soit d’en ajouter une ou ne rien ajouter rien du tout et d’écoper l’eau en surface (avec un bonnet et un pull marin cela vous donnera un avant goût de vacances)

chaux fine
Chaux fine sur le dessus du bidon

morceaux dans le fond du bidon
Morceaux et quelques cailloux… dans le fond, sur un tamis de 14

 

Sauf que pour quelques travaux à la chaux, les stucs par exemple, il faut ajouter de l’huile de lin, or celle-ci s’ajoute à l’extinction sinon elle se solubilise mal. La méthode change à peine.
Vous versez 10 litres d’eau dans le bidon ainsi qu’un litre d’huile de lin puis d’un seul coup 5 kg de chaux vive. Le mélange va bouillir. C’est sans danger le récipient étant très haut. Vous laissez quelques minutes le mélange s’agiter. Vous ajoutez 20 litres d’eau puis 5 kg. de chaux vive plus progressivement et vous recommencez jusqu’à épuisement des stocks. (ici 1 litre d’huile de lin pour 20 kg de CaO)

Notes :

– Embout porte fouet :

douille
Sur un burin SDS Max (pour cette machine là) coupé, cassé en fait, soudez (à l’arc si vous avez…) un écrou long au filetage du fouet. Un seul détail important, il faut que le burin coupé soit assez court pour ne pas aller au fond du mandrin de la machine. Le perforateur étant à percussion, il ne faut pas qu’il vienne taper la queue de fouet. Il doit juste le faire tourner. A moins bien sûr qu’il soit possible de désactiver la fonction percussion de l’outil. Prenez attentivement vos mesures, entre trop long et trop court la différence est ténue.


– Bien entendu il est impératif de partir avec une bonne chaux vive. Inutile d’aller filtrer une chaux sanitaire parfois grisâtre et pleine d’impuretés.


– Le délai d’attente conseillé entre extinction et n’importe qu’elle méthode de filtration n’est… pas conseillé. C’est environ un jour, peut-être moins, peut-être plus. Un indice que l’on peut utiliser c’est le moment où la pâte ne se contracte plus à « l’oeil » (elle perd 5 à 10 % de son volume rapidement, en un jour,  puis de moins en moins). A l’inverse un temps d’attente trop long, une semaine, entraîne déjà une viscosité de la pâte qui rend la manipulation inefficace. Il faudrait rajouter de l’eau et perdre (probablement ?) le bénéfice de cette maturation.


– C’est bon marché certes mais pour des travaux de « très haute qualité » vous n’échapperez pas à l’achat d’une bonne chaux en pâte. Dont la granulométrie résiduelle est spécifiée (dans les spécifications techniques qu’un vendeur consciencieux doit avoir et pouvoir vous en faire une copie). Pas nécessairement les plus chères d’ailleurs.
l’ItalCalce vendue entre 8 et 24 (…) €/25 kg y satisfait pleinement, elle passe à 99% à 200 µm. Le prix de certaines chaux à 80 µm est lui délirant.